12 octobre fete nationale en Espagne
Vie en espagne

12 octobre : pourquoi la fête nationale espagnole est-elle sujet à controverse ?

Le 12 octobre, en Espagne, c’est la fête nationale.

Et tous les ans, ce moment donne lieu à des controverses et polémiques en tous genres, et pour différentes raisons. Ces contestations ne sont pas si surprenantes. En effet, peu de célébrations dans le monde ont été marquées par autant d’ambiguïtés et de variations historiques que celle-ci. S’il est clair pour tous que la date choisie correspond à un événement emblématique majeur, il n’y a pas d’accord sur ce qu’elle représente ou sur les motifs de la célébrer.

Pour mieux comprendre, je vous propose de découvrir dans un premier temps pourquoi cette fête est commémorée ce jour-là. Puis, comment elle a évolué au fil des années et des lieux. Dans un second temps, je vous expliquerai pour quelles raisons de nombreuses voix s’élèvent chaque année pour protester contre la célébration de cette fête. Je terminerai en dressant le bilan des évolutions récentes, et de celles à venir.

Un peu d’Histoire…

Découverte de l’Amérique

Le 12 octobre, dans l’Histoire, c’est d’abord la découverte de l’Amérique. C’est en effet le 12 octobre 1492 que Christophe Colomb a débarqué avec ses hommes et ses caravelles sur l’île de Guanahani, dans l’archipel des Bahamas, et a posé le pied pour la toute première fois sur le continent américain. C’est donc ce jour-là que l’on date la « Découverte » de l’Amérique, qui peut être vue comme le début d’un pont culturel entre les peuples des continents américain et européen.

la découverte de l'amérique est à l'origine de la Fête nationale le 12 octobre en Espagne

4 siècles plus tard

En 1892, pour le quatrième centenaire de la découverte, la régente de María Cristina décrète par arrêté royal de faire coïncider cette date avec la célébration de la fête nationale.

En 1913, sous l’impulsion de l’Association Ibéro-Américaine de Madrid, qui souhaitait unir tous les peuples hispanophones, cette journée prend le nom de « Día de la Raza » (Fête de la Race). Ce n’est que 5 ans après, en 1918, qu’un article de loi institutionnalise ce nom et fixe officiellement la fête nationale espagnole au 12 octobre, sous le nom de Día de la Raza.

Pourtant, dès les années 1920, les milieux intellectuels font émerger l’expression de « Día de la Hispanidad » qui, bien que de plus en plus populaire, tardera jusqu’en 1958 à être reconnue et légalisée sous ce nom.

Une célébration bien au delà de l’Espagne

Quoi qu’il en soit, tout au long des premières décennies du XXe siècle, différents pays d’Amérique latine ont commencé à établir le 12 octobre comme jour férié sur leur territoire. Cette fête prend bien évidemment des appellations et des formes différentes selon les pays. En Argentine, par exemple, ce jour-là on célèbre le jour de la diversité culturelle américaine ; au Chili, c’est le jour de la découverte des deux mondes ; au Costa Rica, la Journée des cultures ; aux États-Unis, Columbus Day ; en Uruguay, Journée des Amériques…

Après la dictature franquiste

Après la mort de Franco, la démocratie est rétablie en Espagne. Un décret de 1981 maintient la fête nationale espagnole le 12 octobre. Il stipule explicitement qu’il s’agit du « Día de la hispanidad » (Journée de l’Hispanité).

En 1987, la loi 18/1987 fait disparaître cette expression de la dénomination officielle. Depuis lors, le 12 octobre n’est plus que le jour de la fête nationale espagnole.

Ces rappels historiques  mettent en exergue la notion de lien, de pont entre les peuples des deux continents. Depuis son émergence, cette fête a été pensée comme un élément d’union et de consolidation du monde hispanique. Néanmoins, de nombreuses voix discordantes se font entendre au sujet de ces célébrations. Cette commémoration, au fil des ans, devient de plus en plus polémique. Les détracteurs se basent sur différents arguments pour justifier leur position selon laquelle le 12 octobre ne devrait pas être célébré.

Pourquoi cette célébration est-elle controversée ?

Une commémoration de Christophe Colomb

L’argument le plus utilisé par tous ceux qui sont contre cette fête est qu’elle célèbre la découverte de l’Amérique et, par conséquent, la figure de Christophe Colomb. Beaucoup voient cela d’un mauvais œil. Effectivement, il ne faut pas oublier que la conquête de l’Amérique a été un processus long et profondément douloureux pour les peuples autochtones : esclavage, pillages, viols, meurtres… et exactions en tous genres.

Rien de surprenant à ce que de nombreuses personnes ne veuillent plus commémorer un processus d’une telle violence. Des pays comme le Venezuela, l’Argentine et le Nicaragua préfèrent appeler la fête du 12 octobre Journée de la résistance autochtone, et Cuba ne célèbre même pas cette journée.

12 octobre : une date associée à la dictature franquiste

Le 12 octobre était une date très symbolique pendant la dictature militaire de Franco. Le régime autoritaire voulait cette célébration fastueuse, et ne lésinait pas à la dépense pour célébrer cette date en grande pompe. Franco n’a pas hésité à l’utiliser comme une arme politique contre les perdants de la guerre civile. Ainsi, c’est le 12 octobre 1943 que le dictateur a choisi pour inaugurer la Ciudad Universitaria reconstruite, après avoir été détruite pendant la guerre.

 Franco a également utilisé la presse de l’époque pour s’identifier à Christophe Colomb. Le parallélisme était évident : le 12 octobre devait pour lui symboliser à la fois la conquête de l’Amérique par Christophe Colomb, et cinq siècles plus tard, le dictateur la conquête de l’Espagne par Franco.

La loi l’associe à la monarchie

Ces dernières années, la monarchie espagnole voit son image bien écornée à la suite de nombreux scandales et polémiques en tous genres.

Or, la loi qui réglemente la célébration de la Journée du patrimoine hispanique établit que le jour de la Fête Nationale d’Espagne, le 12 octobre :

«… symbolise la date historique qui a vu l’Espagne, sur le point de conclure un processus de construction étatique basée sur notre pluralité culturelle et politique, et l’intégration des royaumes d’Espagne dans une même Monarchieentamer une période de projection linguistique et culturelle au-delà des frontières européennes. ».

Traduction d’une partie du texte de loi établissant la fête nationale de l’Espagne au 12 octobre
la date du 12 octobre pour la fête nationale est liée à la monarchie

Autrement dit, il établit que tous les Espagnols sont intégrés à une monarchie. Pour de nombreux Espagnols qui se considèrent anti-monarchiques, cela n’a pas de sens.

Un jour très lié à la religion

En outre, le 12 octobre coïncide également avec le jour où l’on célèbre la vierge du Pilar (Día del Pilar). Sainte patronne de la ville de Saragosse et de la communauté autonome d’Aragon, c’est également la patronne de la garde civile.

Cette association avec l’Église ne plait pas vraiment aux athées, ou même à ceux qui ne sont pas de fervents catholiques.

Le 12 octobre :une grande démonstration de force militaire

La principale célébration qui est promue pendant la journée hispanique est le défilé des forces armées. Vous pouvez en voir un aperçu ici. Certains trouvent étrange que cette journée, censée commémorer la pluralité politique et culturelle du pays, se concentre sur un défilé militaire. Pour eux, finalement, on est loin d’une célébration de la projection des valeurs et des cultures espagnoles. Ce défilé est plutôt une démonstration médiatique impressionnante. Il profite du grand nombre de spectateurs pour améliorer l’image publique des forces armées et du ministère de la Défense. Ces détracteurs préfèreraient célébrer le multiculturalisme espagnol par des événements culturels de toutes sortes, bien au-delà de quelque chose de purement militaire.

Par ailleurs, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer le coût exorbitant de ce défilé. En période de crise, ce budget serait, pour certains, bien plus utile à d’autres postes de dépenses plus essentiels.

Qu’en est-il du 12 octobre dans les pays latino-américains ?

Face aux protestations qui surgissent contre cette fête, plusieurs États ibéro-américains ont pris la décision de changer. Ils revoient peu à peu leur façon de célébrer le 12 octobre. parfois, ils modifient même le nom des festivités. Ils explorent principalement trois pistes.

matissage en amérique latine : une autre façon de voir le 12 octobre

La première consiste à reprendre le « Día de la raza » pour célébrer le grand métissage racial et culturel qui caractérise les Amériques. C’est cette voie que privilégie entre autres le Mexique.

Une seconde vision vise plutôt à mettre en évidence la diversité qui constitue une spécificité du continent. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’exalter une fusion illusoire, mais plutôt de souligner la nécessité de respecter la singularité de chaque groupe. Ainsi, ces dernières années, l’Argentine a décidé de célébrer la Journée du respect de la diversité culturelle; le Costa Rica la Journée des cultures; l’Équateur la Journée de l’interculturalité; et le Pérou la Journée des peuples autochtones et du dialogue interculturel.

Enfin, la troisième option propose une inversion radicale du sens originel des festivités. Au lieu de célébrer l’union des peuples liée à la Découverte de l’Amérique, le Venezuela et le Nicaragua, par exemple, s’attachent désormais à fêter la Journée de la résistance autochtone. La Bolivie, quant à elle, a choisi le nom de Journée de la décolonisation.

Quelles évolutions à prévoir le 12 octobre en Espagne ?

Face à ces façons variées de commémorer cette journée, il n’y a pas de direction claire en Espagne. Différents changements ont marqué le pays au cours des dernières décennies. Les multiples voix qui s’élèvent contre cette manière de célébrer la fête nationale proposent des évolutions. Il semble évident que cette cérémonie va évoluer dans les années à venir.

Dès cette année, la fête nationale espagnole sera différente. En effet, il a fallu trouver une alternative conforme à la réglementation sanitaire imposée par la COVID-19. Peut-être est-ce une occasion de repenser plus largement les modalités de la fête ? Probablement serait-il judicieux de réétudier totalement ces célébrations? On pourrait en profiter pour établir bien plus clairement ce que l’on a envie de célébrer.

L’union des divers groupes raciaux ethniques et géographiques ayant en commun la langue espagnole?

La fraternité au-delà des pays et des continents?

Ou au contraire la spécificité de L’Espagne au sein du monde hispanique ?

Et vous ? Que pensez-vous de cette fête ? Avez-vous déjà pu y participer ? Laissez-moi vos avis et impressions en commentaire. En attendant, je vous souhaite à tous un joyeux 12 octobre… Et ce, quel que soit ce que vous avez envie de fêter aujourd’hui !

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Professeur agrégée d'espagnol, je partage ici des ressources utiles, pratiques et ludiques pour apprendre l’espagnol, améliorer votre niveau, et découvrir les cultures et curiosités hispanophones. !

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